Comment en sommes-nous arrivés là?
Vous avez peut-être entendu parler de Bruce Jenner qui ne voulait plus être Bruce. Nous sommes en 2015. Jenner est un champion olympique, un héros américain et, accessoirement, le beau-père des célèbres Kardashian.
Dans une interview, la journaliste Diane Sawyer le présente comme un homme qui a longtemps vécu avec un lourd secret. Bruce Jenner, adulé pour ses qualités athlétiques et sa virilité, a toujours cru qu’il était une femme. Il s’est lui-même défini comme une personne transgenre.
Si vous regardez l’interview, vous verrez quelqu’un de profondément blessé, incapable de trouver la paix. Il a beau être riche et célèbre, il a encore du mal à s’accepter. Ça m’a fait mal au cœur de le voir mettre son âme à nu durant cette interview pénible pour lui. Je ne l’avais jamais rencontré, mais j’avais de la peine pour lui.
Avançons de quelques mois. Surprise: Bruce Jenner apparaît sur la couverture du magazine Vanity Fair. Il porte de la lingerie et pose de façon provocante, assis sur un tabouret de bar, les mains derrière le dos. Il imite clairement les femmes hyper-féminisées avec un sex-appeal exagéré qui s’étalent en couverture de nombreux magazines que l’on trouve près des caisses des supermarchés. Il veut révéler sa nouvelle identité au grand public. Cette parution marque une étape décisive vers sa nouvelle vie: c’est désormais en femme qu’il s’identifie pleinement et compte vivre. « Appelez-moi Caitlyn » peut-on lire à la une. L’image a fait le tour du monde.
La super-célébrité et icône culturelle, Caitlyn Jenner était née. Son message au monde était clair: les hommes peuvent devenir des femmes s’ils se sentent ou se perçoivent comme telles. Et vice versa.
Les médias se sont délectés de sa transformation. Très vite, on a appris l’existence d’une émission de télé-réalité décrivant sa transformation historique. Le compte Twitter de la nouvelle Jenner a gagné des millions de followers en un temps record.
Voilà comment la question du « transgenre » a été catapultée sur le devant de la scène culturelle à une vitesse vertigineuse. Jusqu’alors, le sujet passait quasi inaperçu. Aujourd’hui, et de manière soudaine, l’identité de genre est devenue la question de justice sociale la plus à la mode.
DES QUESTIONS QUE NOUS NE POUVONS PAS LAISSER SANS RÉPONSE
L’année 2015 semble bien loin. Aujourd’hui, Facebook propose plus de cinquante manières de renseigner son genre sur son profil. Les débats sur l’utilisation des toilettes submergent les médias sociaux. La ville de New York inflige des amendes aux professionnels qui n’utilisent pas le pronom préféré des personnes transgenres pour s’adresser à elles.
Et tout va si vite qu’il est difficile de réfléchir à tête reposée. De comprendre les tenants et les aboutissants du débat. De savoir comment nous en sommes arrivés là, comment se faire une opinion et contribuer, nous aussi, au débat. Bien des questions ont pourtant besoin d’une réponse. Par exemple:
– Un homme peut-il devenir une femme? Une femme peut-elle devenir un homme?
– Quand et comment les enfants doivent-ils être confrontés aux débats sur le genre?
– Comment réagir devant des enfants qui ont l’impression d’être nés dans le mauvais corps?
– Que dire à quelqu’un qui passe par ces sentiments et ces désirs?
– Comment pouvons-nous aimer et aider ceux qui endurent de profondes souffrances?
Ces questions vont bien plus loin que ce que nous entendons par « genre ». Elles se réfèrent à ce que nous entendons par « humanité ». Autrement dit, qui nous sommes, comment nous sommes arrivés ici, ce que signifie être un humain et, éventuellement, quel rôle Dieu joue dans tout cela. Derrière les articles de journaux, les reportages et les questions avec lesquelles beaucoup se débattent personnellement se cachent des questions plus profondes. Quelle histoire voulons-nous vivre ? Comment allons-nous donner un sens à notre vie? Sur quoi s’appuient notre identité et notre assurance?
Nous reviendrons sur tous ces points. Nous devons tout d’abord nous interroger: comment en sommes-nous arrivés là?
Il est tentant de donner une réponse simple. Mais voilà, il n’y a pas de réponses simples. Un grand nombre de facteurs nous ont amenés là où nous en sommes aujourd’hui. Le débat sur les personnes transgenres se nourrit de nombreux courants de pensée.
Le relativisme
Notre culture occidentale mondialisée baigne plus ou moins consciemment dans le relativisme. Selon le relativisme, la vérité est toute relative et chacun est libre de choisir le sens qu’il souhaite donner aux choses et aux événements. Résultat: ce qui est bon pour moi est peut-être mauvais pour vous. Vous avez probablement entendu quelqu’un dire ou pensé vous-même: « Tu n’as pas à me dire ce que je dois faire », ou « La vérité absolue, ça n’existe pas », ou encore « Tant mieux si c’est bien pour toi, mais ce n’est pas mon truc ». Ces formules illustrent bien l’influence actuelle du relativisme sur notre façon de penser.
Le relativisme rejette en bloc l’idée qu’il n’existe qu’une seule « bonne » façon d’interpréter le monde. Il n’y a pas une seule grande histoire qui unirait le tout, mais plusieurs histoires. Parmi ces visions du monde se trouvent l’islam, le christianisme, le judaïsme et bien d’autres religions. Aucune n’est vraie pour toutes les époques, en tous lieux et pour tous les peuples. Une religion n’est qu’une façon parmi d’autres de vouloir vivre sa vie. Chacun est libre de la choisir, mais aucune religion n’a le droit de s’imposer à tous. Quiconque prétend le contraire le fait dans le but inavoué de prendre autorité sur autrui.
La postchrétienté
Tous les analystes l’affirment, à coup de rapports et de statistiques: le christianisme est en forte chute en Occident. Ce déclin n’est pas facile à mesurer. Mais il est évident que l’influence culturelle du christianisme est en train de disparaître. Au fil du temps, chaque nouvelle génération s’éloigne un peu plus des vérités morales du christianisme. La fréquentation de l’Église diminue, ce qui semble dire que l’attachement au christianisme est en recul. L’analphabétisme biblique monte en flèche: la population occidentale actuelle, contrairement aux générations précédentes, est de moins en moins familière avec les récits bibliques fondateurs et les différents livres de la Bible. L’affaiblissement de l’influence chrétienne est une aubaine pour d’autres éthiques et systèmes de valeurs. C’est l’occasion pour eux de supplanter la morale chrétienne en tant que norme largement acceptée.
Comment allez-vous gérer ce changement rapide? Cela dépend de ce que vous pensez du christianisme. En tout cas, s’il y a bien un domaine qui en est affecté, c’est celui de l’éthique sexuelle. Au cours de ces dernières décennies, nous avons assisté à l’acceptation croissante des relations homosexuelles, à une baisse du nombre de mariages et une augmentation de celui des divorces, et à un accroissement du nombre de couples vivant hors mariage (qu’ils comptent ou non se marier plus tard). Cette mutation sociale ne peut se faire que dans un contexte où la vision chrétienne du monde est considérée comme facultative ou non pertinente. Ou encore quand cette vision chrétienne est accusée d’engendrer haine, intolérance et fanatisme (accusation de plus en plus fréquente).
Toute société s’appuie sur une certaine forme de moralité. Il est impossible qu’il n’en soit pas ainsi. La question est donc: quelle moralité va régner en maître? Quand un cadre moral disparaît, un autre prend sa place. Or, tout porte à croire que le nouveau cadre est laïc. C’est une société chrétienne qui préservait et enseignait la moralité chrétienne. Une société laïque en fera autant pour sa morale séculière. Résultat: les chrétiens fidèles à la Bible qui vivront dans une culture laïque se trouveront du mauvais côté de la barrière.
Vous n’avez peut-être pas l’impression de vivre dans une société postchrétienne. L’Amérique, par exemple, compte un grand nombre de chrétiens. Mais l’aura du christianisme ne brille plus dans les secteurs les plus influents de la culture américaine: la sphère intellectuelle, celle des arts ou des médias, le secteur du divertissement, le monde juridique. Regardez ceux qui occupent des positions prestigieuses, les influenceurs, ceux qui changent la donne culturelle: dans la plupart des cas, ils ne sont pas chrétiens. Et ils n’ont que faire de ce que pensent les chrétiens.
L’individualisme radical
« Écris ta propre histoire! », nous dit l’individualisme ambiant. Il découle, à bien des égards, du relativisme. Ce qu’un individu veut ou désire est le bien souverain. Il est mal de dire à quelqu’un que ses choix ou ses croyances sont mauvais ou immoraux. Chacun jouit de ses propres droits, certes, mais en insistant sur ce point, la société a élaboré une vision de l’individu « libéré » de toute forme de devoirs. Le plus grand péché est de juger l’autre. En fait, c’est le seul péché.
Il y a longtemps (et encore aujourd’hui dans de nombreuses régions du monde), les sociétés ne pensaient pas en termes d’individus ou de droits individuels. En revanche, ce qui comptait, c’était la famille, le clan et la communauté. C’est à travers ces liens que chacun pouvait comprendre son existence. Dans une telle société, la question n’est pas de savoir « ce qui est le mieux pour moi » ou « ce qui me rend heureux », mais « ce qui est le mieux pour ma tribu » et « ce qui préserve ma tribu ou l’honore le plus ».
Cette approche vous semble dépassée ou inimaginable? Alors, sans vous en rendre compte, vous êtes devenu un « parfait Occidental »! Elle nous semble injuste et restrictive? Alors, nous qui ne « jugeons jamais personne », nous sommes bien prompts à porter des jugements!
Bien entendu, toutes les formes d’individualisme ne sont pas mauvaises. Mettre l’accent sur l’individu permet de veiller, entre autres, à la dignité de chacun. Les aspects bénéfiques existent, comme le fait que des gouvernements reconnaissent des droits inaliénables à chaque citoyen. L’individualisme radical repose sur cette idée, mais il va bien au-delà.
La révolution sexuelle
La révolution sexuelle des années 1960 a donné naissance à l’idée populaire selon laquelle « si ça fait du bien, il faut le faire ». Bien des courants contestataires nourrissent le climat actuel et le plus puissant d’entre eux est certainement celui de la révolution sexuelle. Elle s’est dressée contre ce qu’elle considérait comme une sexualité « puritaine » ou « prude ». Les bouleversements qu’elle a engendrés ont enseigné que notre corps nous appartient et que nous pouvons en jouir comme nous le voulons.
Voulez-vous des preuves de l’impact de la révolution sexuelle sur le monde? Observez nos films. Tout en eux défend l’hypothèse selon laquelle la liberté sexuelle est la référence la plus élevée d’épanouissement personnel. Ils ne la présentent pas comme une hypothèse, mais comme une vérité incontestée (et malheur à qui veut la remettre en question).
La remise en cause et le renversement de l’éthique chrétienne de la sexualité ont coïncidé avec l’industrialisation de la contraception hormonale (et y ont probablement contribué). Il ne s’agit pas, ici, de discuter des avantages et inconvénients de la pilule, mais de constater que sa mise sur le marché a dissocié sexe et procréation. Ce n’était rien de moins qu’une révolution. Les relations sexuelles avant le mariage ont toujours existé, mais avec le risque d’une grossesse non désirée. Ce n’est plus le cas.
Les répercussions sont énormes: la société peut désormais fixer un autre rôle à la sexualité. Les relations sexuelles ne sont plus réservées au mariage. Balayée, l’idée que les relations sexuelles hors mariage soient répréhensibles et qu’un risque puisse exister. La légalisation de l’avortement en 1973 (aux États-Unis) et l’absence de réprobation qui en a résulté ont achevé de dissocier rapports sexuels et procréation.
La révolution sexuelle a permis aux droits des femmes de progresser. Elle a aussi fait baisser le nombre de mariages et exploser celui des divorces. Pendant au moins les deux premières décennies, elle a entraîné une augmentation du nombre d’avortements. L’Occident subit les conséquences des puissantes vagues de la révolution sexuelle.
Le gnosticisme
Le gnosticisme est une vision du monde provenant de l’Antiquité et remise au goût du jour. Antérieure au christianisme, elle a imprégné une grande partie de l’Église primitive. Pour le gnosticisme, le monde physique – la « matière » – est mauvais et corrompu. Il est donc nécessaire d’échapper au monde physique par la spiritualité. D’ailleurs, le gnosticisme souligne que la conscience que nous avons de nous-mêmes est quelque chose de différent et de plus important que notre corps physique.
Selon le gnosticisme, notre vrai moi et le corps que nous habitons s’opposent. Résultat: notre corps ne correspond pas à ce que nous sommes vraiment. Il peut donc être utilisé, façonné et modifié pour correspondre à ce que nous ressentons.
L’idée que notre genre puisse être différent de notre sexe biologique est une forme moderne de la vieille théorie gnostique. Concrètement, un homme peut s’identifier comme étant une femme, même s’il possède des chromosomes masculins et le corps d’un homme.
Tels sont les courants qui affluent dans notre société. Voilà pourquoi le débat sur les personnes transgenres s’est non seulement imposé à notre conscience culturelle, mais a progressé aussi rapidement. Il n’est pas né par hasard. Il est né de la rencontre de ces influences culturelles. Elles sont souvent passées inaperçues et elles ont rarement été remises en question, mais ce sont bel et bien des courants puissants et influents.
Pour résumer la morale de notre monde postmoderne, postchrétien et individualiste, disons qu’il existe deux péchés impardonnables. Le premier est de juger l’autre. Le second est de ne pas satisfaire ses propres désirs.
FAITES LE BIEN
Il y a deux mille ans, l’apôtre Paul a écrit à un groupe de chrétiens:
Ne nous lassons pas de faire le bien; car nous moissonnerons au temps convenable, si nous ne nous relâchons pas.
Galates 6: 9
Les chrétiens sont appelés à faire le bien. Quoi de plus simple à comprendre? Mais qu’est-ce que le bien? C’est déjà un peu plus compliqué.
– Pour certains chrétiens, « faire le bien », c’est aller dans le sens de la culture. Et ils ont parfois raison de le faire.
– Pour d’autres, c’est aller à contre-courant de la culture et dénoncer le « mal » qu’elle qualifie de « bien ». Et ils ont parfois raison de le faire.
En fonction de notre sensibilité, nous serons enclins à accepter ou à rejeter les changements culturels en pensant « bien » faire. Mais la vision chrétienne du « bien » ne se définit pas en fonction de l’époque dans laquelle Dieu a décidé de nous faire vivre. C’est d’ailleurs pour cela qu’il est souvent complexe et plutôt épuisant de déterminer ce qu’est le « bien », et plus encore de le vivre – que la société l’approuve ou le désapprouve. Or, que se passe-t-il quand nous nous lassons?
Nous avons tendance à faire ce qui nous semble le plus facile. Soit nous nous barricadons, soit nous suivons le courant. Mais voilà, les chrétiens ne sont pas appelés à faire ce qui est le plus facile, mais à faire le bien. La vraie question est de savoir comment « bien » penser, parler et agir dans le débat sur les personnes transgenres. Sachant que nous parlons de personnes réelles et de véritables souffrances qui font aussi partie de ce débat.
Article extrait du livre Dieu et le débat transgenre, de Andrew Walker, paru en mai 2021