Une version abrégée de cette interview a été publié dans le magazine Christianisme aujourd’hui. L’entretien complet a été publié sur le BLF Blog avec l’aimable autorisation du Christianisme Aujourd’hui.
Quel est votre regard sur ces 8 dernières années passées à la présidence du CNEF?
Je suis globalement satisfait de ce qui a été fait, dans la mesure où le travail au niveau du CNEF s’est développé avec une certaine créativité. Je pense notamment au service pastoral auprès des parlementaires ou à un événement comme “Bouge ta France” avec un grand rassemblement le 14 juillet. Je suis satisfait parce que ce qui s’est produit à l’origine du CNEF, à savoir la réconciliation entre l’aile pentecôtiste et l’aile non-pentecôtiste, continue à faire son chemin localement. Globalement, il y a des progrès encourageants. Dernière chose plutôt positive, nous sommes aujourd’hui bien repérés par nos interlocuteurs chrétiens, en particulier catholiques. Ils nous respectent. Avec les autorités, ça a été un peu le chaud et le froid. Nicolas Sarkozy, à la fin de son mandat, nous avait invités très officiellement dans les rencontres, François Hollande a fermé complètement la porte et finalement Emmanuel Macron n’a pas changé grand chose. Nous sommes un peu en marge. Nous avons de bonnes relations avec les Ministères, avec les hauts-fonctionnaires, mais pas avec les ministres.
Quand le CNEF a été créé en 2010, plusieurs objectifs avaient été fixés, qui sont: améliorer la visibilité du protestantisme évangélique, permettre plus de concertation, de collaboration entre les membres et d’action, encourager l’évangélisation, la formation, l’entraide et le témoignage chrétien et stimuler l’implantation de nouvelles Eglises locales. Quels objectifs ont été remplis?
Indéniablement, le coeur de notre action a été l’évangélisation. D’abord par l’implantation d’Eglises, puisque nous avons d’abord eu une communauté d’apprentissage “Implantation”, c’est à dire une rencontre entre des représentants de diverses unions d’Eglises pour travailler pendant deux ans sur les questions d’implantation d’Eglises. Ca a bien marché. Ensuite, nous avons mis en place une communauté d’apprentissage “Développement” qui est en cours, qui consiste à “revitaliser” les Eglises qui peinent, les plus petites en particulier. C’est aussi un succès.
Lesquels sont encore à améliorer?
Ce que nous n’avons pas pu faire durant ma présidence, c’est un travail autour de la formation, et faire se rencontrer les différents acteurs de la formation biblique et théologique. Il s’agit de répondre à un grand défi: nos Eglises se multiplient mais ne multiplient pas le nombre de gens qui se préparent à les prendre en charge. Il y a là un hiatus un peu problématique. Ca reste une préoccupation.
Est-ce que le fait d’avoir été invité à la cérémonie d’investiture du président Emmanuel Macron était une victoire?
Non, je ne pense pas. A vrai dire, ce qui ne se sait pas beaucoup, c’est que j’avais aussi été invité à l’investiture de François Hollande et que, pour des raisons de mauvaise coordination, l’invitation est tombée dans notre boîte aux lettres au CNEF quand il n’y avait personne. Nous n’avions donc pas pu être présents. D’y être, ça ne change pas la face du monde. Ce qui serait plus intéressant c’est que nous soyons aussi appelés à rencontrer plus régulièrement des hauts responsables de l’Etat. Sous l’impulsion de notre chargé des relations avec le Parlement, Thierry Le Gall, nous avons pu rencontrer Gérard Larcher (le président du Sénat, ndlr.) à sa demande. Mais il ne faut pas non plus être naïf ou idéaliste, c’est un jeu politique. Gérard Larcher (du parti Les Républicains) veut représenter l’opposition à Emmanuel Macron.
Quels rapports le CNEF entretien-t-il avec la Fédération Protestante de France (FPF) et les luthéro-réformés de l’Eglise protestante unie de France (EPUdF), un an après Protestants en Fête?
Nous essayons de trouver un chemin. Pour l’instant nous ne l’avons pas trouvé. Les relations ne sont pas très faciles. C’est un peu complexe, parce que nous avons quand même neuf unions d’Eglises qui sont à la fois membre de la FPF et du CNEF. De toutes façons, nous sommes liés à la FPF, qu’on le veuille ou non, par ce biais là. Notre position à Protestants en fête (le retrait du CNEF du rassemblement à cause d’un culte «inclusif» et de la présence d’un stand LGBTI, ndlr.) a laissé des traces. Pour ma part, je ne regrette pas notre position. Tous les membres du CNEF ne le diraient pas ainsi. Ceux qui sont dans la Fédération protestante se sont sentis pris entre deux feux. Avec l’EPUdF, je pense que paradoxalement, ils se pourrait qu’entre responsables, les choses aillent plutôt vers le mieux. La nouvelle présidente depuis 18 mois, Emmanuelle Seyboldt, manifeste beaucoup d’attention aux évangéliques. Dans les rapports interpersonnels, elle est très attentive.
Sur le plan local, c’est très variable d’un endroit à l’autre. Il est clair que la décision du Synode national de l’EPUdF prise à Sète (le 17 mai 2015, ndlr.), de bénir les couples homosexuels a crispé les relations. C’est vécu de façons diverses selon les lieux.
Après la fin de votre présidence, resterez-vous membre du comité et du bureau du CNEF?
Non, je ne vais rester membre ni du bureau, ni du comité. Il faut bien comprendre que je suis président à titre bénévole. Ce n’est pas ce qui me fait vivre. Mon ministère est dans l’enseignement, à l’Institut biblique de Nogent, dont je suis le directeur depuis un peu plus d’un an maintenant. Je vais pouvoir me consacrer davantage à ce ministère. Le CNEF me prend quand même beaucoup de temps. Je vais être un représentant, probablement, ordinaire. Un membre présent dans l’assemblée plénière mais comme n’importe quel autre. C’est bien comme ça, parce que j’estime que quand on tourne la page, il faut laisser la place à ceux qui nous suivent pour qu’ils puissent agir sans avoir le sentiment d’être toujours redevables à l’ancien.
Comprenez-vous qu’il reste chez certains évangéliques une frilosité à toute représentation officielle, nationale?
Oui, bien sûr. C’est congénital au mouvement évangélique. Son congrégationalisme, le fait que ce soit l’Eglise locale qui soit considérée comme légitime, fait que toutes les structures, y compris parfois les unions, sont considérées avec un petit peu de méfiance. Avant cela, j’étais responsable des Eglises de la fédération baptiste. Nous connaissions la même tension, entre la légitimité de l’Eglise locale et une certaine frilosité à l’égard de la structure nationale. Le monde évangélique est tellement divers, nous ne pouvons pas nous attendre à ce que tout le monde soit parfaitement en accord sur tout. Ce que je peux quand même dire, c’est que le monde évangélique a beaucoup progressé dans ce domaine. Il y a quand même toute une partie du monde évangélique qui est prête à reconnaître que l’Eglise, ce n’est pas juste l’Eglise locale. Le texte que nous avons sorti, L’Eglise, les Eglises et les Oeuvres participent de cette réflexion, de cette évolution théologique. Il y a au moins une autre partie des évangéliques qui par pragmatisme, à défaut d’autre chose, voit bien qu’une représentation officielle est indispensable.
Avec le Forum Chrétien Francophone qui s’est tenu à Lyon du 28 au 31 octobre 2018, il semblerait que des ponts se créent entre les différentes confessions dont la plupart dialoguaient peu entre elles. Quel rôle a à jouer le CNEF et les évangéliques en tant qu’Eglises locales et individus?
Il y a une modification des relations inter-confessionnelles dans l’histoire récente. Elles ont été largement trustées par les luthéro-réformés et les catholiques, autour de grandes discussions théologiques dans un passé assez récent. Pendant ce temps, on a vu une évolution assez nette du côté évangélique. Ceux-ci ont découvert que les catholiques étaient sur la même longueur d’onde sur un certain nombre de positions éthiques, ce qui les a fait localement, souvent, tendre la main au moins pour des collaborations ponctuelles ou des relations personnelles avec des catholiques. Là où c’est un peu plus compliqué, c’est que cette évolution locale tarde à trouver son expression régionale ou nationale chez les évangéliques. Je pense que les responsables évangéliques ont peur de visibiliser cette situation. Ils sont toujours prisonniers de certaines vieilles craintes à cet égard. Très visiblement le Groupe national de conversations catholiques-évangéliques, qui vient de fêter ses vingt ans, a permis d’avancer. Le Forum Chrétien Francophone a permis d’avancer dans la mesure où il aborde les choses bien davantage sur le plan des relations inter-personnelles que sur le plan des relations institutionnelles. C’est autour du cheminement de foi de chacun qu’on se retrouve. J’y étais, c’était très intéressant et assez passionnant. Je me dis, que nous ne pouvons pas en tant qu’évangéliques rester indifférents au fait que dans une société qui s’éloigne de plus en plus des vertus chrétiennes, ignorer que nous avons à côté de nous des hommes et des femmes qui en raison de leur foi, continuent à défendre la famille, la dignité humaine, etc. Ce serait à mon sens fou de ne pas le prendre en compte. Cela reste difficile pour une partie du monde évangélique de faire comprendre que nous ne sommes pas dans le tout et le rien. J’ai beaucoup d’amis évangéliques qui pensent qu’on se compromet tout de suite, alors que je pense qu’on peut développer des relations jusqu’à un certain point. Il reste des impossibilités institutionnelles, parce que derrière il y a des problèmes théologiques. Mais si on parle de la Trinité, si on parle de Jésus vrai homme et vrai Dieu, et des conséquences éthiques de la foi chrétienne, il y a de larges pans d’accords. J’irai même plus loin, il y a des occasions de faire cause commune contre des évolutions sociétales qui sont dramatiques.
Quels sont les principaux défis pour votre successeur et son équipe? Quels dossiers prioritaires allez-vous laisser sur votre bureau à votre successeur?
Pour moi le gros dossier sera celui de la formation. Je n’ai pas en tête forcément un seul modèle de formation. Il faut pourtant que les membres du monde évangélique arrêtent de croire qu’il suffit d’être spontanés et devenir responsables de son Eglise pour que tout aille bien. Il y a une dichotomie chez les gens qui peuvent faire des études longues et onéreuses pour gagner du fric et ne sont pas prêts à le faire pour faire avancer l’oeuvre du Seigneur. Il y a un truc qui ne va pas. Pour moi c’est le grand défi des années à venir. Si on ne réussit pas, l’évangélisme risque de se perdre dans beaucoup de fragilité. L’autre grand défi est de rester uni pour collaborer sans chercher à gommer nos diversités évangéliques, car elles existent. C’est un travail de tous les jours, il n’est jamais totalement gagné et nous ne sommes jamais totalement arrivés.
Après l’élection de Donald Trump et plus récemment après l’élection de Jair Bolsonaro, de plus en plus d’évangéliques semblent être mal à l’aise avec cette étiquette “évangélique”, qu’en pensez-vous?
Je pense en effet qu’il y a de plus en plus d’évangéliques qui sont mal à l’aise avec cette étiquette. C’est particulièrement vrai aux Etats-Unis où c’est carrément une crise d’identité qui se manifeste et pour laquelle des figures importantes réagissent, notamment Ephraim Tendero, secrétaire général de l’Alliance Evangélique Mondiale, et Timothy Keller. Je suis assez dans cette ligne, il ne faut pas se laisser ravir le qualificatif d’évangélique, sachant qu’aux Etats-Unis, la situation est plus complexe qu’il n’y paraît. Les évangéliques qui font beaucoup parler d’eux sont les blancs, et pas tous. Disons, ceux qui ont le plus de bataillons, qui sont très à droite et passablement politisés. Mais les évangéliques noirs sont plutôt démocrates, en faveur de la justice sociale. J’y vois beaucoup moins clair sur le Brésil, je ne me précipite pas pour me prononcer. En plus, Bolsonaro n’est pas évangélique mais catholique, bien qu’il ait fréquenté les évangéliques et qu’il se soit fait baptiser dans le monde évangélique. Ce contre quoi je milite, et je l’ai fait dans un texte qui a décoiffé certains: il ne faut pas rêver d’un retour aux racines chrétiennes. C’est un rêve funeste. De toutes façons, quand la civilisation a été chrétienne, elle était loin d’être évangélique. Quand l’Eglise a eu le pouvoir, elle s’est compromise et elle a compromis l’Evangile. Donc ce rêve “il suffirait qu’on ait un président évangélique et tout irait bien” me parait complètement illusoire et ne peut aller que vers des déconvenues majeures, à mon sens. Cela se traduit chez certains évangéliques par un discours qui dit “il faut défendre les valeurs chrétiennes” comme si les valeurs en soi allaient changer la société. Je suis prêt à dire que maintenir des valeurs chrétiennes est une bonne chose, mais ce n’est pas ça qui change profondément le coeur de l’homme. Je suis résolument de cet évangélisme qui est séparé de l’Etat, qui a été quand même dans l’histoire le courant le plus fort.
Propos recueillis par David Métreau, pour le journal Christianisme Aujourd’hui.