Tout le monde s’inscrit quelque part dans l’une des trois visions du monde que je viens de mentionner. Je fais aussi partie de ce tableau. J’ai une vision du monde. Je suis chrétien. Je vais donc essayer d’expliquer le point de vue chrétien sur la question des catastrophes naturelles comme le coronavirus. Cette perspective est propre au christianisme. Vous serez peut-être d’accord avec moi, peut-être pas. Mais j’espère que vous refermerez ce livre en comprenant pourquoi les chrétiens peuvent parler d’espoir avec assurance et ressentir la paix même dans un monde incertain – un monde au sein duquel l’ombre de la mort se fait plus menaçante que jamais.
Vous ne réagissez pas de la même manière selon que vous avez adopté telle ou telle vision du monde. […]
Beaucoup de gens pensent qu’il n’y a rien à faire devant les catastrophes et le mal naturels et que la seule solution, c’est d’abandonner Dieu et embrasser l’athéisme: « C’est évident, disent-ils, le coronavirus, les cancers, les tsunamis et les tremblements de terre montrent bien que Dieu n’existe pas ». Nous devons l’admettre, l’univers est dur et insensible, il se fiche de savoir si nous vivons ou mourons.
En Écosse, un philosophe des Lumières, David Hume, a pointé du doigt les problèmes qui se posent à des chrétiens comme moi. Se référant à un philosophe grec du 3e siècle av. J.-C., il a déclaré: « Les vieilles questions d’Épicure sont encore sans réponse. Dieu veut-il empêcher le mal sans en être capable? Il est alors impuissant! Le peut-il sans le vouloir? Il est alors malveillant! S’il le peut et le veut, d’où vient alors le mal? »
Cette citation est souvent reprise, mais à quoi mène ce genre d’athéisme? Quel point de vue offre-t-il face à la réalité de la souffrance? Lisez plutôt la réaction dogmatique de Richard Dawkins:
La quantité totale de la souffrance par année dans le monde naturel dépasse les limites de l’imagination. Pendant la minute qu’il me faut pour composer cette phrase, des milliers d’animaux se font dévorer vivants, beaucoup d’autres doivent fuir pour survivre, la peur au ventre, d’autres encore se font lentement dévorer de l’intérieur par des parasites, des milliers de toutes sortes meurent de faim, de soif et de maladie. Il doit en être ainsi. Si jamais advient un temps d’abondance, ce fait conduira automatiquement à une augmentation de la population jusqu’à ce que soient restaurées la famine et la misère – l’état naturel. Dans un univers où règnent les forces aveugles de la physique et
de l’évolution, certaines personnes vont se blesser, d’autres vont avoir de la chance, et vous ne trouverez aucune raison à cela, rien qui ne le justifie. L’univers que nous observons possède précisément les propriétés que nous devrions en attendre s’il n’y a au fond aucun dessein ou modèle, aucun but, aucun mal ni aucun bien, rien si ce n’est une indifférence aveugle et impitoyable. L’ADN ne sait rien et ne s’en soucie pas. L’ADN n’est rien d’autre que de l’ADN. Et nous dansons sur sa musique.
Comment un chrétien réagit-il à ce genre d’affirmation? Selon l’athéisme de Dawkins, tout est déterminé d’avance. Oubliées les catégories du bien et du mal: place à l’indifférence aveugle et impitoyable d’un univers fataliste. En rejetant de la sorte toute notion de bien et de mal, à quoi bon se demander si le coronavirus est une mauvaise chose? La question n’a plus de sens. (J’imagine mal que Dawkins puisse réellement croire cela).
Mais voilà, ce que Dawkins dit est grave. Et en le lisant, c’est à se demander ce que l’approche athée face au coronavirus a de raisonnable. S’il n’y a pas de Dieu, d’où nous viennent les concepts de « bon » et de « mauvais » que nous possédons tous? Nous n’avons donc plus de quoi affirmer que le coronavirus, avec tout ce qu’il engendre, est en quelque sorte « mauvais ». En effet, les conséquences, y compris les décès que le virus occasionne, ne sont que des atomes en train de se réagencer. […]
Ce point de vue n’est tout simplement pas viable, à mon avis. Richard Dawkins en est lui-même la preuve. Il cherche à saper l’existence du bien et du mal, mais dans ce cas, pourquoi avoir considéré le 11 septembre et d’autres atrocités comme mauvaises?
Ce n’est pas tout. L’indignation légitime contre le mal (naturel ou moral) présuppose une norme de « bien ». Il existe une telle notion objectivement réelle et indépendante de nous. C’est pour cela que nous attendons des autres qu’ils se joignent à nous pour condamner certaines choses. Ces normes sont « transcendantes », c’est-à-dire qu’elles existent au-dessus de nos opinions individuelles. Par exemple, nous tous, quelle que soit notre vision du monde, n’hésiterons certainement pas à dire que le coronavirus est mauvais.
Si Dieu n’existe pas, les valeurs transcendantes disparaissent aussi. Impossible, par conséquent, de nous appuyer sur une norme objective du bien. Si nous ne pouvons rien qualifier de « bien » ou de « mal », le concept de moralité disparaît. L’indignation morale est absurde. Le prétendu « problème » du mal (moral ou naturel) n’est plus un problème. Il se dissout dans l’indifférence impitoyable de la matière insensible. […]
Même si nous retirons Dieu de l’équation, cela ne supprime pas la douleur et la souffrance. Elles restent au contraire intactes. En revanche, en éliminant Dieu, nous éliminons tout espoir ultime.
Article extrait du livre « Coronavirus: Où est Dieu? », de John Lennox, paru en avril 2020