Est-ce cohérent de ne pas lire toute la Bible littéralement?
Nos vies sont truffées de métaphores: on se tue au travail, on travaille avec ses tripes, on aime de tout son cœur. De récentes études dans le domaine de la communication ont confirmé ce que les poètes savent depuis des millénaires: les êtres humains trouvent les métaphores faciles à mémoriser, convaincantes et émouvantes. Notre cerveau est programmé pour recevoir ces «expressions imagées», des mots qui comparent une chose ou une expérience à une autre.
Elles éveillent notre imagination et nous connectent à leur auteur, unis par des expériences communes qui font que la métaphore fonctionne. Comme une plaisanterie entre initiés, ou un langage commun, les métaphores créent des liens. C’est la raison pour laquelle les amoureux s’écrivent des poèmes. On a tendance à l’oublier lorsqu’il s’agit de la Bible.
Dans un sondage datant de 2014, des pasteurs américains devaient indiquer laquelle des réponses ci-dessous décrivait le plus exactement leur vision de la Bible.
- «La Bible est la parole réelle de Dieu et doit être comprise littéralement, mot pour mot» (28 %).
- «La Bible est la parole inspirée de Dieu, mais tout ce qu’elle contient ne devrait pas être compris littéralement» (47 %).
- «La Bible est un livre ancien de fables, de légendes, d’histoire et de préceptes moraux écrits par l’homme» (21 %).
Instinctivement, nous pensons que ces affirmations constituent un classement par ordre décroissant du sérieux avec lequel les pasteurs considèrent la Bible. Pourtant, il suffit de lire les propres paroles de Jésus pour nous rendre compte que nous dénaturons souvent la Bible lorsque nous la lisons «littéralement, mot pour mot».
Lorsque Jésus dit «Je suis le bon berger», il ne veut pas dire qu’il garde des moutons, mais qu’il incarne la métaphore du Dieu Berger. Dans l’Ancien Testament, David, le berger devenu roi, déclare: «L’Éternel est mon berger» (Psaumes 23.1). De même, lorsque Jésus revendique être «le vrai cep» (Jean 15.1), il ne se prend pas pour une plante, mais il se réfère à ces passages de l’Ancien Testament qui comparent Israël à la vigne de Dieu. En effet, beaucoup de gens ont mal compris Jésus précisément parce qu’ils ont pris ses propos dans leur sens littéral.
Dans l’Évangile selon Jean, Jésus chasse les changeurs d’argent hors du temple et lance ce défi aux témoins scandalisés:
«Détruisez ce temple, et en trois jours je le relèverai», ce à quoi les Juifs répondent: «Il a fallu quarante-six ans pour bâtir ce temple, et toi, en trois jours tu le relèveras!»
Jean explique que Jésus parlait de son corps: le véritable temple, le lieu où Dieu vient à la rencontre de son peuple et où le sacrifice est offert (Jean 2.19-21). Plus tard, un chef juif nommé Nicodème va trouver Jésus en pleine nuit. Ce dernier lui déclare qu’il doit naître de nouveau. Un Nicodème déconcerté réplique:
« Comment un homme peut-il naître quand il est vieux ? Peut-il rentrer dans le sein de sa mère et naître? » (Jean 3.4).
Plus tard, Jésus anéantit les barrières d’ethnies, de religion et de genre en demandant à une femme samaritaine de lui donner à boire avant de proclamer qu’il est capable de lui donner de l’eau vive (Jean 4.10). Là encore, elle prend ses paroles dans leur sens littéral et passe à côté du message principal. Les vérités exprimées sous forme de métaphores dans ces passages, et dans d’autres au fil des Écritures, sont d’une réalité saisissante. Si le message de la Bible est vrai, la réalité littérale de notre propre vie est une métaphore en chair et en os dont le but est de nous faire tourner les regards vers le Dieu transcendant.
Nous faisons des métaphores lorsque nous remarquons des liens: l’amour est une maladie, la vie est un marathon, et l’on parle parfois de certains parents comme des mères-poules. Cependant, ce n’est pas Dieu qui, un beau jour, en prenant conscience de l’existence de l’amour paternel, aurait décidé de se faire appeler notre «Père». Non. Dieu a créé la paternité afin que les meilleurs pères terrestres puissent nous donner un aperçu de l’affection paternelle divine. Dieu n’a pas non plus un beau jour pris conscience du caractère intime du sexe et du mariage pour décider d’appeler Jésus l’Époux et l’Église son Épouse Dieu a créé les relations conjugales et le mariage afin de nous donner un avant-goût de l’amour de Dieu: un amour ardent et inconditionnel, qui se sacrifie pour les autres. L’Évangile de Jean débute par une métaphore: «Au commencement était la Parole» (Jean 1.1).
Celle-ci évoque les tout premiers mots de la Bible et l’acte d’un Dieu qui parle pour créer le monde. Jean explique que cette Parole, c’est Jésus. Il inonde notre esprit de métaphores : Jésus est la lumière du monde, l’Agneau de Dieu, le temple, le vrai cep, le bon berger, l’eau vive, le chemin et la porte.
MÉTAPHORES ET MIRACLES
Doit-on en déduire que la Bible n’est pas destinée à être prise au pied de la lettre? Ou qu’il suffirait de qualifier un passage ardu de «métaphorique» pour en contourner les difficultés? Absolument pas. Comme dans toute conversation, certains éléments sont à prendre au sens littéral et d’autres non. En général, nous faisons facilement la différence.
Les auteurs du Nouveau Testament, par exemple, mettent l’accent sur le fait que Jésus est littéralement ressuscité des morts. Ils évoquent ses os, ses blessures et d’autres caractéristiques bien physiques. Les Écritures ont beau foisonner de métaphores, ce n’est pas une raison pour minimiser les affirmations radicales de la Bible concernant les miracles, la vérité éternelle, et la décision vitale que nous devons prendre. Certains des enseignements les plus difficiles de Jésus sont présentés sous forme de métaphores, tel son avertissement en Matthieu 7.13:
«Entrez par la porte étroite car large est la porte et spacieux le chemin qui mènent à la perdition, et il y en a beaucoup qui entrent par là».
Ce texte est clairement une métaphore. Mais il arrive que même des personnes qui prennent la Bible très au sérieux ne soient pas d’accord sur la question de savoir si une déclaration est littérale ou métaphorique. Est-ce que telle ou telle histoire est vraie historiquement ou n’est-ce qu’une parabole?
Lors de la Réforme protestante, certaines paroles de Jésus ont fait couler beaucoup de sang. Quand il affirme: «Ceci est mon corps» alors qu’il rompt le pain et «Ceci est mon sang» alors qu’il verse le vin, s’agit-il de métaphores? Jésus devient-il miraculeusement le pain et le vin que les chrétiens mangent et boivent lorsqu’ils se souviennent de sa mort? Catholiques et protestants diffèrent sur ce point. Les miracles accomplis par Jésus fonctionnent aussi souvent comme des métaphores. En pardonnant au paralytique avant de guérir ses jambes, Jésus nous invite à voir le parallèle entre la guérison physique et la guérison spirituelle. Lorsqu’il appelle ses premiers disciples, des pêcheurs, à le suivre, il réalise une pêche miraculeuse et les exhorte à laisser leurs filets afin de devenir «pêcheurs d’hommes» (Luc 5.1-11). Néanmoins, même lorsque les miracles de Jésus sont imprégnés d’une signification métaphorique, cela ne veut pas dire qu’ils ne se sont pas littéralement produits. La capacité de Jésus de faire ce que Dieu seul est capable d’accomplir démontre sa nature divine.
Voilà pourquoi ses disciples apeurés se demandent à son sujet: « Quel est celui-ci […] à qui obéissent même les vents et la mer? »
(Matthieu 8.27).
PARABOLES ET POÉSIE
Les paraboles de Jésus montrent encore davantage la difficulté de distinguer ce qui est vrai tout en étant non littéral. Pour ne prendre qu’un seul exemple, la parabole bien connue du bon Samaritain n’est pas précédée par «Et puis Jésus raconta une parabole». De surcroît, les événements décrits sont réalistes: un homme est attaqué, 12 raisons de ne plus croire au christianisme 118 dépouillé et laissé pour mort alors qu’il se rendait de Jérusalem à Jéricho, une route connue pour sa dangerosité. Jésus décrit deux hommes religieux qui, passant à côté de la victime, font l’effort de la contourner – là encore, un fait tout à fait plausible: le contact avec un mort les aurait rendus rituellement impurs. L’élément le plus surprenant de ce récit en est le héros: celui qui a enfin compassion de l’homme blessé est un Samaritain. Rien, dans le texte, ne montre qu’il s’agit d’un récit inventé. Pourtant, si le style d’enseignement de Jésus nous est familier, nous comprenons instinctivement qu’il n’est pas question ici d’un rapport de police, mais d’une parabole visant à communiquer un message. Là encore, nous devons chercher à distinguer le vrai du littéral et prendre en compte le genre littéraire du texte biblique si nous voulons en comprendre le sens.
Après l’exemple des paraboles, citons celui de la poésie. C’est un genre littéraire majeur, notamment dans l’Ancien Testament. Les Psaumes représentent un livre entier de poésie biblique et constituaient le recueil de chants des Israélites. Les écrits des prophètes de l’Ancien Testament offrent aussi des passages poétiques substantiels.
Enfin, le Pentateuque (les cinq premiers livres de la Bible) contient également des traces poétiques. La Bible n’a pas honte de ce style poétique : il contribue au contraire à en faire sa force. Mais nous devons en reconnaître les caractéristiques et le lire selon le cadre imposé par le style lui-même.
Ne pas parvenir à identifier les caractéristiques figuratives d’un texte biblique, c’est comme amener un poème d’amour au supermarché en se demandant pourquoi on n’en trouve pas tous les éléments sur les rayons.
Extrait du livre 12 raisons de ne plus croire au christianisme de Rebecca McLaughlin